1990s – Cinema Galeries

1990s

    Introduction

    Chungking Express, Happy Together et Les Anges Déchus incarnent les années 1990 à travers le prisme de Wong Kar-wai, en explorant un monde postmoderne dominé par le chaos, l’incertitude et une urbanisation galopante. Ces films dépeignent une réalité souvent fragmentée et déstabilisante, où les personnages évoluent dans un environnement en constante mutation. L’urbanité frénétique de Hong Kong, la complexité des relations humaines et la quête d’identité dans un contexte marqué par l’instabilité sociale et politique sont au cœur de cette trilogie.

    Introduction

    Chungking Express, Happy Together et Les Anges Déchus incarnent les années 1990 à travers le prisme de Wong Kar-wai, en explorant un monde postmoderne dominé par le chaos, l’incertitude et une urbanisation galopante. Ces films dépeignent une réalité souvent fragmentée et déstabilisante, où les personnages évoluent dans un environnement en constante mutation. L’urbanité frénétique de Hong Kong, la complexité des relations humaines et la quête d’identité dans un contexte marqué par l’instabilité sociale et politique sont au cœur de cette trilogie.

    Transition & Désorientation

    Pour Wong Kar-wai, les années 1960 incarnent le passé et la nostalgie, tandis que les années 1990 représentent le présent. Hong Kong dans les années 1990 est à la fois marqué par une effervescence économique et sociale, une dynamique de croissance rapide, mais également par des incertitudes politiques, ainsi qu’une aliénation croissante des relations humaines. Cette période, bien que synonyme de possibilités infinies grâce à la rapidité du changement, engendre également un sentiment de malaise, où tout semble éphémère et aisément remplaçable. À travers sa trilogie des années 1990, Wong Kar-wai capture l’image d’un Hong Kong en perpétuelle agitation et en transformation continue.

    N°223

    Le numéro 223 apparaît comme un motif récurrent dans l’œuvre de Wong Kar-wai, incarné par le policier n°223 dans Chungking Express et l’ange n°223 dans Les Anges Déchus. Tout comme le personnage de Su Li-zhen dans des années 1960, le personnage n°223, joué par Takeshi Kaneshiro, présente une continuité entre les deux films. Cependant, n°223 dans Chungking Express est un policier bavard, tandis que dans Les Anges Déchus, il devient mystérieusement muet.


    Dans Chungking Express, le policier n°223 incarne une mentalité moderne en cherchant à quantifier et contrôler chaque aspect de sa vie à travers des chiffres précis. Il tente de donner un sens à l’incertitude qui l’entoure, se raccrochant à des mesures rationnelles comme un moyen de maîtriser le chaos de son existence.


    Selon Wong Kar-wai, cette obsession trouve un écho dans l’ironie des boîtes de conserve que le personnage collectionne. Comme l’a souligné le réalisateur : « Ce que je trouvais ironique, c’est que ces boîtes destinées à préserver la fraîcheur d’un aliment aient une date-limite. Même la fraîcheur peut être périmée ».* Cette remarque souligne l’éphémérité de tout, y compris de ce qui est censé durer, illustrant la fugacité du monde moderne dans lequel les personnages tentent de trouver du sens.


    Les Anges Déchus devait initialement être la troisième histoire de Chungking Express, mais en raison de sa durée, Wong Kar-wai a décidé d’en faire un film à part entière. Cependant, Chungking Express et Les Anges Déchus entretiennent une relation de miroir inversé à bien des égards dans plusieurs aspects : le ton, l’espace, et la représentation de l’amour, etc. Ces deux films se complètent comme les deux faces d’une même pièce : l’un est lumineux et vibrant, tandis que l’autre est sombre et mélancolique. Ensemble, ils dessinent un portrait entier de Hong Kong, une ville en perpétuel mouvement, où cohabitent lumière et ombre, énergie et solitude.

    1997

    Happy Together, dernier film de Wong Kar-wai des années 1990, n’a pas été tourné à Hong Kong mais à Buenos Aires, la ville la plus éloignée de Hong Kong. Ce choix de cadre reflète une conjonction de facteurs.

    D’une part, Wong Kar-wai a été profondément influencé par la littérature argentine, notamment par Manuel Puig, dont les œuvres Le plus beau tango du monde et Les Mystères de Buenos Aires l’ont marqué. D’autre part, 1997 étant l’année de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, l’incertitude politique ressentie par les Hongkongais a conduit Wong Kar-wai à éloigner ses créations géographiquement, bien que son esprit soit resté ancré dans sa ville natale.


    Wong Kar-wai a lui-même expliqué : J’ai tourné Happy Together à Buenos Aires, loin de ma ville, mais le film ne parle que d’elle.**

    Il ressentait une contrainte politique liée à l’approche de la rétrocession de juin 1997, et voulait échapper à l’idée que son film devait nécessairement résonner directement avec cet événement. Pourtant, plus il cherchait à s’en éloigner, plus l’influence de Hong Kong sur son œuvre devenait manifeste. Il a reconnu que, malgré la distance, son lien profond avec la ville refaisait surface : « J’ai compris pour la première fois que la manière de vivre à Hong Kong m’avait imprégné si profondément que mes sentiments pour elle devaient refaire surface, où que je sois. »**


    Ainsi, dans Happy Together, Hong Kong apparaît à travers un renversement subtil, une inversion des perspectives, témoignant de l’omniprésence de la ville dans l’imaginaire de Wong Kar-wai, même au bout du monde. Buenos Aires, tout en étant un espace d’exil, devient aussi une métaphore des préoccupations, des incertitudes et de la mélancolie qui habitent le réalisateur face à la transformation de Hong Kong.

    * Cahiers du Cinéma, n°490, mai 1995 

    **Cahiers du Cinéma/Made in China, 1999